Diarios cubanos
- Diane Remy
- 19 mai 2019
- 9 min de lecture
Dernière mise à jour : 19 oct. 2019
Article co-écrit par Lola, Mathilde et Diane
En 2018, presque rien n’a changé. Cuba est une île hors du temps, qui semble figée dans les années 1950.
En 1959, la guérilla révolutionnaire guidée par Fidel Castro et Che Guevara renverse le régime autoritaire de Batista. Rapidement, des mesures socialistes sont mises en place, et le mouvement devient le Parti Communiste Cubain. En 1962, les Etats-Unis instaurent el bloqueo, un embargo commercial à l’égard de Cuba. Dès lors, l’île s’isole progressivement des échanges internationaux, et subsiste en grande partie grâce aux aides de l’URSS. Aujourd’hui encore, une économie de survie guide les politiques cubaines. Le salaire mensuel moyen s’élève seulement à 20 euros et même si les conditions de vie évoluent grâce aux quelques réformes et à la fin de l’embargo, le pays reste en difficulté et subit des pénuries répétitives. Avec l’émergence du tourisme, c’est une société à deux vitesses qui se développe, car les cubains en contact avec les étrangers parviennent à avoir un niveau de vie assez élevé par rapport à la moyenne.

Malgré un tourisme croissant, Cuba reste une destination authentique. Ses habitants sont encore très attachés à la Révolution, à ses leaders, et aux transformations apportées, comme l’éducation et la santé gratuites, l’éradication quasi-totale de la délinquance… Dans les rues de La Havane, la grande majorité des voitures sont à l’image du paysage automobile national : les anciennes voitures américaines sont un trésor du patrimoine et l’emblème des guides touristiques. L’accès à internet est très limité. Il faut se procurer des cartes d’une heure puis se connecter à un réseau général sur les grandes places publiques, les boîtiers wifi personnels étant interdits par le régime. En arrivant à Cuba, juste après avoir quitté l’aéroport, on se rend rapidement compte que la propagande est encore très présente. De nombreuses affiches apparaissent le long des routes, vantant les mérites de Fidel, du Che, ou du régime. A l'exception de dissidents partis s’installer en Floride ou en Europe, de nombreux cubains semblent encore convaincus des bienfaits du Parti Communiste. Pourtant, ils sont plutôt exclus de la mondialisation, et n’ont pas trop d’informations sur les nouvelles des autres pays. Même à Cuba, ils sont focalisés sur ce qu’il se passe à un niveau très local, celui de leur commune. Les postes de télévision, datant des années 1990, sont constamment allumés dans les salons, mais seulement sur des chaînes de telenovelas. Les Cubains qui tentent de capter les chaînes de Floride grâce à leur antenne risquent d'être dénoncés par leurs voisins les plus patriotiques.
- Lola

Les témoignages ou conversations avec des cubains nous ont également beaucoup surprises. Premièrement, ils étaient tous impressionnés et terrifiés à la fois que nous venions de pays latinos “dangereux”, la Colombie et le Mexique : “Pourquoi vous êtes allées vivre là bas? Vous êtes locas” “Vous savez qu’ici à Cuba vous ne craignez rien, vous pouvez sortir le soir, les armes sont interdites, personnes ne vous attaquera jamais, même si vous vous baladez seules!”? Nous avons aussi entendu : “Il y a trois types de violence à Cuba: la Salsa, le Rhum et la Fête!”. Tout ça nous a semblé assez étrange, d’autant plus que tous les cubains rencontrés tenaient exactement ce même discours.
Mis à part ça, ce qui nous a le plus choquées dans les discours des cubains, et surtout des jeunes de notre âge, est leur position vis-à-vis du régime actuel. Nous avons été étonnées de voir que les Cubains ne parlent pas du tout de la situation politique, ou le font mais toujours très prudemment.
“Du coup comment ça se passe ici à Cuba?
Oh tu sais il y a des problèmes mais ça vaut le coup.
C’est à dire ?
Peut être que nous n’avons pas à manger tous les jours à cause des pénuries et que nous ne pouvons pas vraiment quitter le pays mais en échange on a l’éducation gratuite et la santé !
Et tu penses vraiment que ça vaut le coup?
L'éducation c’est ce qui nous fait réfléchir, qui nous permet de nous développer. Et sans la santé on meurt, donc oui ça vaut le coup !”.
Entre deux verres de Mojito et trois pas de salsa, ces phrases nous ont fait halluciner !
- Mathilde
En effet, les Cubains semblent plutôt heureux du régime en place, ou du moins c’est ce qu’ils laissent paraître - un voisin pouvant rapidement les dénoncer. Même pour les rares habitants qui ont eu la chance et les moyens de voyager, il s’agit du « meilleur endroit du monde ». D’autres, sont aussi curieux de savoir ce qu’il se passe en dehors de l’île, ou encore souhaitent épouser un.e Européen.e et goûter à un autre style de vie.
Quoiqu’il en soit, d’un point de vue tourisme authentique, cette île est résolument une destination hors du commun ! Dès notre arrivée à l’aéroport, nous sommes immédiatement immergées : impossible de nous connecter à un quelconque réseau téléphonique, et retirer du cash est un périple. Notre chauffeur arrive dans une ancienne voiture orange pétant pour nous emmener à La Havane, dans un environnement alliant restes d’opulence et les conséquences du temps. Très vite, nous sommes charmées par cette ville incongrue. « Elle aurait beau tomber en ruine, elle aura beau mourir de désillusion, La Havane sera toujours La Havane… ville sucrée, ville de miel de la tête aux pieds… ville aux nuits chaudes et suaves ». Comment mieux décrire cette ambiance que Zoé Valdés ? Avec les lumières du petit matin, les couleurs vives des casas nous submergent, dans un déambulement constant, un air agité et décalé. La ville est comme restée bloquée dans les années 50. Ici, pas de publicité. Seules des affiches telles que « Patria o muerte » nous entourent.

Prochaine étape : la campagne cubaine ! Direction Viñales dans la Province de Pinar el Rio, au cœur des plantations de tabac. Le contraste entre la terre ocre et la verdure foisonnante est saisissant. Nous ne sommes pas déçues de la promenade dans les plantations. Le paysage est à couper le souffle : couleurs vives, immenses étendues de champs ponctuées de montagnes. Nous avons la chance de visiter la finca de Don Mario, qui nous explique comment fonctionne la culture de tabac. La plante peut atteindre jusqu'à un mètre de haut et se compose de trois parties. Elle est cultivé de novembre à mai, les feuilles étant ensuite récoltées et mises à sécher de février à juillet. Il est indispensable de disposer d’un secador, au risque d’une appropriation du champs par l’État qui le revend ensuite à d’autres campesinos. Après avoir seché dans le secador (muni d’un feu en dessous des feuilles), elles demeurent durant un mois dans d’autres feuilles de tabac. Le cigare peut ensuite être préparé. 90% de la production sont envoyés à l’État qui va se charger de les fabriquer dans des usines publiques. Seuls 10% des feuilles vont pouvoir être utilisés par le campesino. La nicotine, contenue dans la nervure de la feuille, peut être partiellement ôtée. L’État en conserve 90% alors que, dans la finca de Don Mario, seuls 25% sont laissés. La feuille est alors roulée et maintenue dans cette position grâce à une autre feuille durant une heure, du miel étant ajouté pour donner un arôme sucré et préserver le roulage de la feuille. A la fin de toutes ces étapes, le cigare est prêt !


Comment faire un vrai séjour à Cuba sans passer par l’une de ses îles paradisiaques ? Nous décidons donc de nous rendre au Cayo Levissa. Ce cayo se situe assez proche du bout de la Floride. Par conséquent, les Cubains ne sont pas autorisés à monter sur le bateau. Nous découvrons une plage splendide, ravissant nos yeux - et notre bronzage. Afin d’en découvrir un peu plus, nous traversons l’île et nous ne sommes pas déçues : une étendue de deux kilomètres de sable blanc nous fait face et se confond avec les eaux turquoises.


L’étape suivante, Trinidad, nous replonge dans le charme de l’architecture coloniale. Elle a été le cœur du commerce de sucre et d’esclaves du XVIIème au XIXème siècle. Ville coloniale la mieux conservée de l’île, ses rues aux pavées inégaux et aux maisons de mille couleurs pastel nous donnent l’impression que le temps s’est arrêté - un sentiment souvent ressenti à Cuba. Les traditions semblent être restées bloquées au XIXème siècle, et l’on entend toujours résonner les sabots des cheveux dès le matin. Un passage à la Playa Ancón nous permet de découvrir la Canchanchara, un cocktail à base de rhum typiquement cubain et dont Trinidad est spécialiste : il est servi dans une coco bien fraîche, dont l’eau est en partie conservée et à laquelle on ajoute du citron et du miel.

Après cette étape de détente, nous reprenons la route vers l’Est ! Nous nous arrêtons tout d’abord à Santa Clara. Si nous ne lui trouvons pas un grand charme d’un point de vue architectural, cette ville est chargée historiquement. En effet, le Che y conduisit une bataille primordiale pour le triomphe de la Révolution et y serait inhumé - bien que cette information soit controversée. Surtout, la communauté étudiante y est importante et la vie culturelle dynamique. Ainsi, cela est incarné dans le centre culturel El Mejunje, qui regroupe toutes sortes d’activités en fonction de l’heure et du jour. Nous avons la chance d’assister à un spectacle de Trova, musique traditionnelle et douce. Lors de nos discussions, nous apprenons que les Cubains semblent satisfaits du régime en place : il n’y a pas de mendiants dans les rues ni de violence, les horaires de travail ne sont pas épuisants, et surtout la qualité de la santé et de l’éducation surpasserait tous les défauts du régime car il s’agirait des deux seuls facteurs nécessaires pour se développer et devenir Homme. Face à cela, nous observons des magasins pratiquement vides et des queues immenses devant la boulangerie, attestant une pénurie de farine de blé. De même, les produits sanitaires de base comme le savon et le shampoing sont hors de prix.

Le lendemain, nous continuons notre route vers l’Est. Nous faisons étape à Camaguëy, la ville des Églises. Elle a été construite comme un labyrinthe afin de perde les pirates. En effet, seuls les habitants comprenaient les logiques de ses rues, ce qui leur laissait le temps d’encercler les bandits avant que ceux-ci n’atteignent les points clés de la ville.
A l’extrême Est de l’île, nous arrivons enfin à Baracoa ! Plongées dans les plantations de bananes et de cacao, nous sommes émerveillées par la nature luxuriante qui nous entoure. Nous avons la chance de visiter une finca de cacao tenue par des femmes, La Finca de las Mujeres. Elles nous expliquent que le cacao se récolte toute l’année, mais que certaines périodes sont plus productives que d’autres. Les plantations nécessitent de l’ombre, d’où un mixage avec des bananiers. Les fèves de cacao peuvent avoir plusieurs couleurs (jaune, marron, rouge, vert) mais elles auront toujours le même goût. Lorsque l’on ouvre la fève, la pulpe doit être jaune pour signifier qu’elle est bien mûre. Les pépins sont ensuite récoltés et séchés avec leur pulpe, sucrée, autour. Une fois la pulpe enlevée, les graines sont alors toastées puis moulues pour en sortir une pâte dure, noire et amère. Cette pâte, une fois transformée en boule très dense, est ensuite râpée puis chauffée. Lors de la cuisson, il est possible de rajouter du sucre, du miel ou de la cannelle par exemple. Une fois de plus, l’État s’approprie 90% de la production.
En continuant notre route, nous faisons une autre découverte culinaire : les tetís, minuscules poissons endémiques qui apparaissent seulement au dernier quartier de lune, sept jours après la pleine lune. Ceux-ci entrent en grands bancs dans la baie de Baracoa, en provenance des hautes mers. Quand ils arrivent, ils sont tellement nombreux que l’eau se noircit et paraitrait bouillonnante.
En direction du Río Yumurí, nous traversons de splendides plages de sable noir et de sable blanc, en total contraste.

A 58 kilomètres de la ville, nous découvrons le Parque Alejandro de Humboldt. Le trek, d’environ cinq heures, nous plonge dans une forêt de palmiers et de hautes herbes sur une colline vertigineuse. C’est aussi l’occasion de découvrir une curiosité culinaire : les barres de chococo : cacao et coco.
Lors de notre dernière journée à Baracoa, nous rejoignons la Playa Miel, une longue plage de sable noir au charme très particulier, bordée de hauts palmiers. Au bout de la plage, nous rejoignons le Parque Majayara en barque. La terre, rouge éclatant, appuie une fois de plus un contraste saisissant avec la verdure des plantations. Nous arrivons à un mirador à couper le souffle : une forêt de palmier s’étendant à perte de vue, arrêtée uniquement par l’océan bleu azur. En s’enfonçant dans les plantations, il est possible de découvrir des centaines de polymitas, une sorte de gros escargot endémique de Baracoa. Enfin, encore plus enfoncée dans la forêt, se trouve la Cueva en el agua, une cavité remplie d’eau dont les parois sont ornées de fossiles allant de simples dents à des mâchoires entières d’animaux ayant vécu dans ces eaux. Seuls deux poissons y vivent encore aujourd’hui. C’est donc très impressionnant de se baigner dans ces eaux parfaitement calmes, mais chargées de vie dans un même temps.


Enfin, nous faisons notre dernière étape à Santiago de Cuba, deuxième ville du pays. Cité portuaire, culturelle et musicale par excellence, elle est aussi le berceau de la révolution. En effet, on y trouve l’ancienne caserne militaire Moncada, contre laquelle Fidel Castro a lancé la première attaque révolutionnaire le 26 juillet 1953. D’autre part, du point de vue culturel, Santiago de Cuba est le centre de la musique traditionnelle cubaine, la Trova. Les influences culturelles afro-cubaines se font ressentir dans les sonorités, rythmées par les percussions.


Nous revenons ainsi nostalgiques de ce magnifique voyage, mais des étoiles encore plein les yeux !
- Diane
Article co-écrit par Lola, Mathilde et Diane
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